Scandales. Eglise de Lyon....A propos des affaires qui empoisonnent notre vie ecclésiale.
Apologie
de la « double peine ». A propos des affaires qui empoisonnent notre
vie ecclésiale à Lyon.
Par Arnaud Alibert, aa.
Le paysage
ecclésial lyonnais est comme un champ de ruines ; les murs qui tombent
font tellement de bruit qu’on n’entend même pas les pleurs des victimes. C’est
d’abord elles que j’écoute. « Ce que vous avez fait à ce petit, c’est à
moi que vous l’avez fait », parole de Jésus-Christ, parole pour chacun de
nous. Nous souffrons. L’autre jour, j’ai connu de manière quasi directe le
témoignage d’une victime. J’ai failli m’évanouir. Il n’y a pas de mots !
Effroyable peut-être… Réellement, des adolescents ont été conduits dans des
ténèbres d’une telle noirceur qu’ils auraient pu en perdre la vue, l’espérance
dans le monde qui est et qui vient. Dieu soit loué, une vie a été possible par
la suite.
Je pourrais arrêter là mon propos, mais je veux aussi m’exprimer en tant que prêtre, un
prêtre qui a la double caractéristique d’être un religieux venu de Montpellier
via Paris, arrivé il y a moins de 2 ans sur Lyon, donc non susceptible d’un
silence complice, et plus important il me semble, proche du Père David, curé de
Sainte Blandine mis en cause par une dépêche, laquelle a bénéficié d’un relais
médiatique impossible à imaginer pour aucune de nos homélies, même les
meilleures.
Je suis
Républicain. J’aime la République. Je lui dois mon éducation et si je n’avais
été prêtre, je pense que j’aurais choisi le service de l’Etat, par conviction.
Notre République vit par toute une série d’équilibres dont la Justice est un
pilier. Rien ni personne ne peut se soustraire à la justice. La Justice, c’est
le rêve des fondateurs de la République, face à tous les régimes qui la bafouent.
C’est aussi mon rêve de citoyen. Elle est l’instrument le moins approximatif
pour atteindre la vérité des actes posés. Elle met systématiquement en procès
la vérité et la dissimulation. Quand elle y arrive, alors elle est parvenue à
son but.
Tous les citoyens
doivent contribuer à l’émergence de la vérité. C’est la grande responsabilité
que les Temps Modernes ont confié aux citoyens. Nous aimons tous nous voir
collaborer à la vérité commune. C’est pourquoi nous aimons les journalistes,
car leur travail d’information participe à l’émergence de la vérité. Quand des
pouvoirs totalitaires font tomber la République, les journalistes et les juges
sont dans les premières victimes. C’est un signe qui parle ! J’entends
aujourd’hui des discours « anti-journalistes » ; c’est
folie ! C’est le refrain des idéologues qui pensent la fin de la
République démocratique telle que nous la voulons. Gardons-nous de porter la
main sur la liberté d’expression et la liberté d’information ; en cette
matière, le « remède » est mille fois plus nocif que le mal. Car,
effectivement, il y a journalisme et journalisme. Ceux qui font des coups,
emprisonnent les mots d’une personne, ne lui tolèrent aucune faiblesse,
n’écoutant pas vraiment, on se demande quelle est leur joie. On se
demande même s’ils aiment le journalisme aussi fort que nous, tant ils semblent
le dénaturer, le bafouer. Une chose est sure, l’interconnexion des médias donne à leur info une audience immense ; mais
l’audience ne dit rien de la valeur. Par quelle vertu d’ailleurs, l’information
qu’une enquête diligentée ayant été classée sans suite (donc circulez, il n’y a
rien à voir) deviendrait un élément probant d’une quelconque culpabilité plus
de 20 ans après ? Ceux qui recyclent
ces informations, qui persévèrent sur le chemin de l’à peu près, pensant
que des bouts de rien forment par accumulation quelque chose d’intéressant se
trompent cruellement sur leur vie et ce que la société attend d’eux. C’est de
la vérité que nous avons besoin. Il y a de la faiblesse humaine à vouloir
exister aux yeux des gens, sur la place publique sans avoir fait la vérité dans
son cœur. Ceux qui font cela « ont déjà touché leur récompense », dit
Jésus à leur encontre. Reste que le nom du père David est aujourd’hui entaché ;
sa plaie cicatrisera évidemment car derrière cette dépêche, il n’y a absolument
rien que la loi de la République réprouve. Parfait gâchis. Belle balafre,
gratuitement donnée. Monde idiot !
Mais, ce
n’est pas encore là le fond du sujet. Nous avons appris que par le passé des
prêtres avaient commis des délits et des crimes, à caractère sexuels. Ils
doivent être jugés avec la même rigueur que n’importe quel citoyen. Ils le
seront ; je le souhaite, je l’anticipe et je m’en réjouis. La justice doit
qualifier puis punir et enfin réinsérer.
Il se trouve
que la loi a prévu que pour certains délits et crimes une prescription était
une condition de notre vivre ensemble en harmonie. Je souscris à cette idée car
on ne peut pas vivre toute une vie menacée par un délit ancien même si,
évidemment, la prescription éteint l’action judiciaire. Sagesse du législateur,
le délai de prescription est considérablement augmenté pour les crimes, les
viols et les actes les plus graves. Un enfant victime d’abus sexuel entre
souvent dans un mutisme protecteur, afin d’oublier ; il faut des années
pour qu’il puisse en parler ; il est donc bon que la justice puisse
patienter tout ce temps-là sans que l’affaire soit enterrée. De tout cela, je
retiens l’essentiel : la loi nous protège.
Mais en
matière de morale, il ne peut en aucun cas être question de prescription. Il en
va de la dignité de tout homme délinquant d’entendre qualifiés ses actes, mêmes
les plus anciens, et d’en concevoir un repentir qui aille jusqu’à demander
pardon. De même pour la dignité de la victime qui a besoin de cette humilité
comme deuxième mot après la violence première. Il faudra alors avancer sur un
chemin de pardon, qui est le chemin le plus réhumanisant
après la défiguration commise par le péché de l’acte délinquant,
défiguration de la victime, profondément blessée, défiguration de l’agresseur
que ses actes ont maquillé d’un masque de laideur. C’est un travail collectif,
patient, qu’on ne peut pas vraiment imposer de l’extérieur, que l’affection des
proches et l’amitié permettent d’initier.
Nous sommes
tous logés à la même enseigne, tous sauf ce que l’on a coutume d’appeler
« les hommes de Dieu », les prêtres dans le cas présent, mais c’est
aussi valable pour les autres religions - un imam égorgeur ou un moine
bouddhiste incendiaire sont du même acabit à mes yeux. Les prêtres délinquants,
qu’ils aient été jugés ou bien qu’ils aient été épargnés par la prescription
légale ne peuvent plus exercer leur ministère dès l’établissement des faits. Un
prêtre auteur d’un viol ou d’une agression sur un mineur sexuel doit, dès que
les faits ont été établis soit par la justice, soit par ses aveux, soit par des
preuves irréfutables, même en attente d’un procès civil, être reconduit à
l’état laïc. S’il est condamné par la justice, la peine ecclésiale vient donc
en plus. C’est la double peine,
comme l’indique l’en-tête de ce texte. Cette double peine n’est pas une faute
de jugement de ma part, car nous sommes sur deux registres de loi différents.
La double peine sous la loi civile n’honore pas le système judiciaire. Mais là,
il s’agit de la loi civile d’une part, et de la loi au regard de Dieu d’autre
part. Au jour de son ordination, il a été demandé si le candidat à la prêtrise
avait été jugé digne d’être choisi pour l’ordre des prêtres. Quand il est
manifeste que cette dignité est perdue- la dignité symbolique du prêtre, non
pas celle de l’être humain qui est inaliénable, entendons-nous bien- le symbole
est cassé, la reconduction vers le laïcat doit être immédiatement prononcée.
Cette reconduction d’ailleurs existe ; elle est assez facilement octroyée
quand un prêtre avoue avoir femme et enfant. Dans ce cas, on ne délibère pas
autour de la très belle formule ancienne, prêtre « in aeternum », qui
n’a de valeur que spirituelle. A plus forte raison donc pour les crimes !
Pourquoi
suis-je si ferme dans mes propos ? D’abord, tout simplement, parce que
quand il y a le loup dans la bergerie, on l’enlève sans ménagement! A danger
imminent, réaction radicale. Mais ma position s’origine plus en profondeur.
Elle n’est pas une prudence ou une stratégie de défense. Je relis ma vie et je
vois que je ne me suis pas marié et j’ai fait le choix très lourd de ne pas
avoir d’enfant, non pas parce que je n’aime pas les femmes, non pas parce que
les enfants m’insupportent, mais parce que j’ai reconnu en eux une étincelle de
sacré, la présence du divin. Dans ma tête et dans mon cœur, je les ai associés
à Dieu et ils ont eu un caractère imprenable. Quand je baptise un enfant, quand
je célèbre un mariage, c’est ce divin là que je sens et que je sers. Il n’est
pas possible d’être prêtre quand on souille ce sacré. Il n’est pas possible
d’être appelé « homme de Dieu » quand on ne connait pas ce dieu-là
qui est le Vrai Dieu. Voilà la raison de mon intransigeance. La morale pourrait
suffire, je pense, à soutenir mon propos ; mais c’est d’abord la vérité de
ce qui est sacré sur terre qui commande ici.
Voilà le bon
propos et la bonne attitude à tenir quand on est « homme de Dieu ». Des
critiques ont plu et pleuvent encore sur la gestion de ces affaires par les
plus hautes autorités de l’Eglise. Reconnaissons que c’est un tout autre sujet.
Aujourd’hui est le moment de la mise au jour de la vérité et des culpabilités ;
c’est aussi le temps de la compassion envers les victimes. Mais quand viendra le
temps de tirer les leçons, je ne manquerai pas de me souvenir que lorsque je
suis entré au séminaire pour ma formation au ministère de prêtre, j’étais
habité par l’idéal de changer l’Eglise, comme d’autres veulent changer le
monde, la politique ou le foot… Cet idéal, je l’ai encore. Je ne peux que
former le vœu que cette série noire lyonnaise nous fasse faire, à tous, un bond
résolu dans la conversion évangélique de nos discours, de nos procédures, de
nos structures, jusqu’à notre vision même du monde et de l’Eglise.
L’évangile, le
témoignage de Jésus-Christ, sont, doivent toujours être notre sextant et notre boussole. La
qualité humaine de Jésus est telle que le regarder vivre, l’écouter parler est
une école incomparable. Deux éléments sont massifs dans sa vie et m’enseignent :
Dieu et l’amour. Ces deux-là sont tellement liés dans sa vie que saint Jean
écrira dans sa première lettre « Dieu est amour ». Or, il se trouve
que la rencontre de croyants avec qui un partage est vécu produit une
croissance dans l’ordre de la relation à Dieu et dans notre capacité à être en
amitié, pour ne pas dire amour. Il me semble très important de poser
l’expérience de l’amour et de l’amitié sur ce plan-là ; on ne s’aime pas
par commun accord sur des vertus minimales. Jésus enseigne que l’amour franchit
tous les murs, même celui du péché. La vie de Jésus atteste cela sans qu’à
aucun moment il ne soit suspect de relativisme ou de libéralisme. La vérité de
la vie passe par là. Il n’est pas donc pas impossible de planter l’amour, l’amitié
en des lieux qui leur seraient hostiles. Pourquoi ne pas avancer qu’un surcroit
d’amitié, qu’on appellera de bon droit miséricorde, puisse être une réponse particulièrement
pertinente pour ne pas dire performante afin de retourner tout ce mal vers le
bien ?
Je suis
prêtre ; en face de moi, des prêtres ont mal agi ; certains ont « fait
le mal ». Comment cohabitons-nous dans le corps ecclésial ? La
réaction de l’Eglise peut et doit être sévère- ce que je souhaite- cela ne dit
pas que l’amour est enlevé, que la page de l’amitié est tournée. Le pire serait
d’entrer dans le nihilisme ambiant qui n’attend plus rien du monde. Vouloir
aimer c’est contester tout fatalité et permettre à l’avenir de se construire. La
force de l’amour se vérifie dans notre capacité à espérer encore.
Et pourtant,
combien l’actualité nous pousse à renoncer. Cela peut paraitre saugrenu mais je
fais un lien entre l’état de guerre que nous connaissons, qui si c’est une
guerre est une guerre civile puisque que ce sont des français qui tuent des
français et des belges qui tuent des belges, et les « missiles »
lancés sur l’Eglise. Là encore les peaux de tel cardinal ou de tels prêtres
seront accrochées à un tableau de chasse bien français. Le philosophe Alain
Badiou le montre très bien : la destruction des éléments de notre société
est une logique nihiliste qui prend son origine dans une déception profonde par
rapport à ce qu’on attendait de l’Occident libéral et qu’il n’a pas donné :
une liberté pour tous dans la prospérité de tous, une prospérité repartie par
degré suivant le mérite de chacun ! Ce n’est pas faire preuve d’une analyse
particulièrement fine que de dire qu’on n’y est pas, et que dans certains
quartiers ou plus encore pays, on n’en est loin, très loin. Mais plutôt que de
le transformer et d’exiger du système qu’il s’exécute ou au moins qu’il progresse
en donnant au moins un peu de richesse à tous et en supprimant les arrogances,
les nihilistes détruisent cet Occident et sapent les bases de sa culture.
Le
christianisme ne détruit pas ; il a la vision de la germination. La foi
nous fait voir le meilleur enfoui comme un germe dans la réalité ; d’une
certaine manière elle le fait advenir. C’est en ce sens que le travail des
disciples de Jésus que nous sommes est fondateur pour notre société : il
restaure dans notre société la capacité d’espérer, d’attendre quelque chose de
la vie, en le réorientant à partir de promesses tangibles, la paix, la joie, la
foi, l’amour, le bon Esprit que donne la vie selon Dieu.
Il y a donc
bien un combat. Ce combat est celui de ceux qui veulent construire ensemble une
civilisation à la hauteur des progrès de la science et des savoirs contre ceux
qui veulent la châtier pour ses échecs. C’est le combat entre d’un côté le
vrai, le juste, le beau qui demandent des trésors de patience, de bienveillance
et d’humilité et de l’autre le renoncement, le choix du mal qui préfèreraient
une reddition de l’humanité. C’est en un certain sens le combat que le Christ a
mené.
On retrouve
par là le lien intrinsèque entre la foi
dans son acception la plus spirituelle et surnaturelle et les attendus
de cette foi en termes concrets, sociétaux. D’autres l’ont dit avant moi et
mieux que moi, amour, foi et charité sont des forces motrices et
transformatrices du monde. Il est grand temps de s’en servir.
Que Marie Madeleine, sainte parmi les
apôtres, annonciatrice de la résurrection du Christ, dont la foi est fondée
dans la chair et sublimée dans l’amour demeure encore et jusqu’au bout la
gardienne de mes pas.
Arnaud Alibert, aa
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