Que tout soit mesuré selon l'amour que l'on a pour nos frères
Prédication en ce dimanche
Une
nouvelle fois, Jésus nous invite à regarder la Nature pour que nous comprenions
davantage son message. Il nous met sous les yeux aujourd’hui la vigne. Ce
discours célèbre de Jésus, l’évangéliste Jean le place après le dernier repas
avec ses disciples, la veille de la Passion.
Nous
pouvons constater avec malice que saint Jean ne fait pas le récit de
l’institution de l’eucharistie dans son Evangile ; il préfère insérer le
récit du lavement des pieds ; mais juste après, il est le seul à intégrer
cette parole de Jésus sur la vigne : « je suis la
vigne ! ». Ainsi saint Jean ne met pas dans la bouche de Jésus :
« Ce vin, c’est mon sang versé pour
vous » mais « je suis la
Vigne ». Chasser le naturel il
revient au galop !
Alors
regardons-la cette vigne. N’est-elle pas profondément marquée par le pluriel et
l’inégalité, alors même que son fruit semble rigoureusement le même : qui
parvient à distinguer un grain de raisin d’un autre ? Une vigne ce sont
des centaines de ceps, tous inégaux. Chaque cep a des racines qui ne verront
jamais le soleil, un tronc tout noueux, tout tordu, des sarments qui s’élancent
avec élégance, dont le bois est fin et lisse ; il porte de belles feuilles,
si belles que les poètes et les peintres en font des vêtements pour l’homme et
la femme et puis des grappes de raisin, collection de centaines de grains de
raisins.
Jésus est la vigne, et nous nous
sommes tout le reste sous ce vocable. Car, nous sommes nous aussi complexes
faits de différents éléments. J’en
compte au moins 3 : notre
nature, notre
culture et l’œuvre
de la grâce en nous.
Aucun
de ces 3 éléments ne nous dit à lui-seul ce que nous sommes. Nous pouvons
souvent souhaiter que l’œuvre de grâce prenne toute la place, ou du moins
qu’elle en prenne une de plus en plus grande ; mais c’est souvent peine
perdue ; je le disais tout à l’heure : Chasser le naturel il revient au galop !
Il ne
s’agit pas d’être pessimiste et de repartir de cette messe en se disant : je n’y arriverai jamais. Il s’agit
simplement de nous dire que plutôt que de nous épuiser à supprimer le naturel
pour le remplacer par du surnaturel, ce qui est pure utopie, nous avons à instiller le surnaturel, la grâce dans
notre naturel et dans notre culturel, càd notre vie telle qu’elle nous est
donnée et telle que nous la faisons.
C’est
ce que Jésus veut dire quand il dit : en dehors de moi vous ne pouvez rien faire. Nous
ne ferons que du mécanique, que de l’animal si nous ne restons pas branchés sur
lui, c’est-à-dire si nous n’avons pas la volonté de le suivre, de l’imiter, de
faire partie de ses disciples.
Pourquoi
ne le faisons-nous pas ? Quel est notre problème en fait ?
Il n’y
a hélas rien de nouveau ! Nous vivons la même crise spirituelle que les
apôtres : nous sommes pris dans des contradictions. Regardons.
1ère lecture : Paul parle aux juifs de
langue grecque. Ils sont donc tout pour se comprendre ! Et voici que
ceux-ci cherchaient à le supprimer.
La 2ème lecture nous prévient
d’ailleurs : ne restez pas à la surface ; allez en profondeur, n’aimons
pas par des paroles mais par des actes et en vérité.
Et l’Evangile insiste : il y a des sarments qui portent
du fruit et des sarments qui n’en portent pas ! Desquels est-ce
que je fais partie ?
Ce qui
se passe en moi, c’est donc tout simplement ceci : j’ai en moi les Paroles
du Christ, mais je n’ai pas qu’elles ;
je demeure en Christ ; le christ est ma demeure ; c’est en tout cas
mon plus grand désir, mais il me faut bien vivre et je sors faire les courses.
Comprenez ce que je veux dire : je
suis à Lui mais pas tout à Lui. Je n’ose même pas espérer pouvoir dire un
jour : je suis tout à Toi !
Ma vie de conversion n’est bien souvent qu’un
jeu de pourcentages. J’essaie d’augmenter au maximum la part de moi-même
attaché au Christ. C’est ça ma vie de foi, en toute simplicité. C’est en tout
cas mon chemin de conversion au quotidien.
Comment y
arriver? Evidemment, ce n’est pas avec la vision exclusivement génétique de
l’homme qu’on va y arriver.
Je fais un pas de côté, mais vous avez remarqué, si
vous avez suivi un peu les Etats Généraux
sur la bio éthique : il y a au fond 2 grandes écoles qui
s’affrontent : l’école de la vie humaine comme matière vivante, avec à sa base un code génétique et l’école de la
vie humaine comme matière animée
avec à sa base une intention, celle de Dieu et à son sommet, un horizon, le
Salut ou l’accomplissement.
Dans le cadre de la vision que j’appelle génétique, l’essentiel
de la vie se joue dans la mécanique. Il y a bien la liberté humaine, qui est
immense, sans borne naturelle ; la seule chose qui la régule, c’est la
morale ! et dans le supermarché de la morale, on trouve de tout, même de
la morale sans morale ; on en reparlera un jour peut-être ! Mais si on
résume cette position, l’homme est soumis à une double dictature : celle
de son génome puis celle de son idéologie plus ou moins morale.
Dans la vision chrétienne, où l’humain est un être
animé, nous sommes libérés de ces dictatures. Nous accueillons notre génome, et
nous le plaçons dans le projet de Dieu, qui n’est pas une morale mais un appel
à la vie. Nous ne trafiquons pas les gènes, nous essayons de convertir notre
vie pour qu’elle retrouve, au milieu de tous ses ballottements, toutes ses
épreuves, toutes ses tentations et ses erreurs, son point d’équilibre, l’axe de
Dieu.
Prenons un peu de hauteur, sans prendre le risque
d’avoir le vertige. Ce
que je dis-là de l’homme vaut aussi pour les peuples et la marche du monde. Il
y a mille raisons de voir dans les Etats des stratégies de domination et dans
les citoyens des intérêts égoïstes. Mais tous les Etats ne sont pas comme
l’URSS d’hier ou la Russie d’aujourd’hui. Ce qui vaut pour la vigne, la grande
diversité sous l’apparence d’une uniformité vaut aussi pour nous, ô combien.
Regardons ce qui se passe en Corée, ce pays de très
longue et belle histoire, avec sa langue, sa culture, son alphabet etc… coupé
en deux depuis presque 70 ans ; le voilà qui panse ses plaies.
On dit que le président Sud Coréen est catholique,
fervent, qu’il puise dans sa foi la force de conviction d’aller au-devant des
défis. Mais il n’est pas qu’une belle âme : que de travail aussi, et que
de patience… Il illustre parfaitement ce
que nous sommes : une part de
grâce, une part naturelle, une part de contexte et au final toute une vie pour
progressivement laisser Dieu nous choisir comme instrument.
Alors
puisqu’il nous faut réellement sortir de la dictature de ce naturel qui revient sans cesse au galop, tentons autre chose.
En jetant
un regard sur notre vie paroissiale, sur notre aventure paroissiale, car toute
vie dans l’Esprit est plutôt une aventure qu’on long fleuve tranquille, ne
devons-nous pas la regarder selon ce critère. Il y a un groupe de musique
cathos qui a bcp de succès. Je ne vais pas vous parler de Glorious, groupe cher au cœur des lyonnais, qui m’est cher à
moi aussi puisque vous savez que j’ai officié pendant 3 ans avec eux, cet autre
groupe s’appelle les Guetteurs
et c’est un groupe de Reggae chrétien.
Du Reggae, sans Marijuana, du pur encens ! C’est assez incroyable.
C’est très frais. Eh bien, dans un de leurs titres, ils ont ce refrain, qui
m’habite et d’une certaine manière me nourrit : Que tout soit mesuré selon l’amour
que l’on a pour nos pères et nos frères !
Ces
jeunes (ils ont autour de 22 ans) ne nous donnent-ils pas une clef ? Que
tout soit mesuré selon l’amour que l’on a pour nos pères, toutes ces personnes qui nous sont données et nos frères, toutes ces personnes
que nous avons choisies !
Je
parlais en début de messe du temps des bilans. Commençons par ça. Prenons notre
aventure paroissiale, cette expérimentation en quelque sorte d’une paroisse
animée par des religieux, il me parait évident que la bonne manière de regarder
notre vécu est de mesurer selon l’amour. Que tout soit mesuré selon l’amour que l’on
a pour nos frères
Appliquant
ceci à nous-mêmes ou bien dans la vie de notre entreprise ou de notre service,
car là aussi on fait des bilans !, forts de la foi que nous partageons ce
matin, essayons de nous dire que l’important n’est pas de savoir si nous sommes
sorti grandis, si tel ou tel a pris du galon, si j’ai eu une promotion ou une
régression mais si nous en sortons différents, touchés, transformés.
Alors
nous pourrons sentir que la sève qui a coulé en nous pendant l’année et coule
en nous aujourd’hui n’est pas que le sang de nos parents, que nous sommes
sortis de ce qui semblait écrit d’avance, que ce qui a été vivant en nous était
plus que nous-mêmes, que bien des fois, par grâce, c’était le Christ lui-même.
Seigneur, aide-nous à nous approcher de Toi et à nous
laisser approcher par Toi ; comme le vigneron se saisit des sarments un à
un, dispose-nous à nous offrir, de part en part tout entier à toi.
Seigneur, tourne nos yeux vers les fruits de ton travail,
en nous et autour de nous, car sont notre joie et notre paix véritable.
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