Prédication de Noël


Quand j’étais enfant, je me posais la question du comment : comment le Père Noël pouvait fabriquer et distribuer les cadeaux. Les réponses des parents étaient aléatoires. Elles basculaient rapidement vers le pourquoi : pourquoi il fait des cadeaux et pourquoi il ne donne pas tout ce qui est désiré, pourquoi même il sait que nous n’avons pas mérité de tout recevoir selon notre envie. C’est alors le moment de relire le dernier trimestre ou le dernier mois peut-être seulement la dernière après-midi où on a été gentil, juste assez pour mériter….
Nous sommes ici face à Jésus-enfant. Quelle question nous vient à l’esprit ? Pouvons-nous regarder à partir de cet événement toute notre vie ?
Notre vie en société est saturée de modes d’emploi comme si elle était chargée de répondre en permanence à la question du comment. Les questions que l’on pose aux responsables sont toujours de l’ordre du comment, que ce soit notre chef de bureau, notre grand patron, notre curé ou notre Premier ministre. Comment vous allez-faire ? Et pourquoi vous allez faire comme cela ? Dès que l’un d’entre eux esquisse une réponse en termes de en vue de quoi alors, le discours devient suspect, démago ou planant.
C’est étonnant, car c’est bien la question du pourquoi qui nous intéresse le plus. Quand nous élevons nos enfants, nous voulons sans cesse leur expliquer le pourquoi des choses car nous savons que c’est par là qu’ils vont grandir et qu’ils forgent en eux la compréhension du monde nécessaire à leur liberté. Cela joue à tous les niveaux : dans le management des entreprises, on est définitivement sorti du taylorisme pour lequel la réflexion de l’ouvrier était une perte de temps et d’énergie (puisque des ingénieurs avaient pensé pour eux !). Aujourd’hui, il est essentiel de faire comprendre le pourquoi ; tout manager qui s’y refuse croyant gagner du temps rame 100 fois plus que les autres ; c’est aussi valable dans le « management » des communautés religieuses ou paroissiales. Dans les classes, les professeurs des écoles comme les professeurs d’université font précéder leur explication du pourquoi de la question. Bref, nous cherchons des raisons ; nous en avons besoin.
Il est courant de dire que nous sommes en perte de sens ; en quoi cela est-il vrai ? Personnellement, je peine à croire que nous n’aurions perdu le sens de la vie ; seulement,  nous ne le cherchons pas où il est : il n’est pas dans le comment dont on nous sature l’esprit comme je le disais, mais dans le pourquoi qui est infiniment plus délicat et moins affirmatif. La raison de vivre est une raison d’inconfortable et fragile. Comme une mangeoire pour un enfant.
Venons-en à cet enfant, puis qu’il se présente à nous ! Nous pourrions nous laisser absorber par la question du comment on en est arrivé là, c’est-à-dire adorer un enfant dans une crèche et reconnaître en lui la plus haute parole de Dieu, son pacte définitif. À ceux que la question du comment empêche de se poser la question du pourquoi, il me semble assez facile de dire : si Dieu a créé l’univers et tout ce qu’il contient dans son infinie complexité et son incroyable ordonnancement, s’il a su disposer que la vie puisse prendre partout, il a su disposer qu’elle prenne en Marie. Cela ne me choque pas ! Non, ce n’est pas le comment de Jésus qui m’interroge, mais bien plutôt la raison de sa venue.
Ainsi, nous voilà enfin en face du pourquoi ? Pourquoi Dieu a-t-il créé l’univers ? Pourquoi cet enfant ? Et pourquoi cette croix qui domine l’enfant, qui semble posée sur le faite de l’étable ?
1/ Les théories les plus récentes parlent d’auto-engendrement du monde, reconnaissant dans le cycle de la matière le principe de son existence, comme si la matière ne pouvait pas ne pas être. Pour un certain nombre de scientifiques, cette théorie est le dernier coup de poignard contre Dieu, dont l’univers n’aurait définitivement plus besoin. Or,  il me semble que cette théorie dit l’inverse et éclaire d’un jour nouveau notre foi : le monde n’est pas une décision de Dieu ou son caprice ou un défi. Le monde nait de là où il part, du dedans de Dieu, par une espèce de débordement. Ce qui le fait naitre, ce n’est pas la descente de Dieu dans son établi pour le « faire, mais c’est une espèce d’auto-allumage produit  par la seule volonté qui habite en Dieu : le règne de l’amour. L’univers est créé pour le Royaume de l’amour : il est tiré du néant ; la matière est tirée du néant par appel d’amour. Non pas un amour préexistant mais un amour à venir, ce qui est encore plus puissant.
Dès l’apparition de la vie, ce projet commence à prendre chair. Mais le monde n’est capable d’amour que dans la mesure où il est capable de liberté. C’est pourquoi le virage décisif est l’apparition de l’homme. Créé à l’image de Dieu comme nous dit la bible, l’homme est donc libre ; il est créé libre, créé créateur donc créé pour bâtir, bref créé pour aimer. Mais il n’y arrive pas. C’est la grande leçon de toute la première partie de la Bible qu’on appelle l’Ancien Testament ou la Première alliance. C’est à désespérer : même les meilleurs ont des calculs mesquins. Abraham sauve sa peau en mentant sur sa femme, Moïse après avoir tué un soldat égyptien s’enfuit pendant 40 ans, le Roi David couche avec la femme d’un autre et fait assassiner le mari trompé, Salomon son fils, le Sage, finira par adorer d’autres dieux et ses 300 concubines en plus de ses 700 épouses… (1R11,3). Jérémie annoncera que Dieu viendra écrire sa loi, son projet dans le cœur de Dieu et Isaïe l’autre prophète annoncera la venue du modèle. C’est Isaïe que nous avons entendu principalement pendant le mois de décembre, entendant son insistance : il va venir le Prince de la Paix, qui va établir l’ordre divin, celui où même le loup aime l’agneau…
2/ Oui ce Royaume d’amour impossible à bâtir, il fallait un homme pour le commencer de mains humaines, un homme envoyé pour dire aux autres hommes que c’est cela leur œuvre, qu’il n’y a pas d’autres conquêtes à espérer sur terre que celle de bâtir un peu plus le Royaume de l’Amour. C’est alors que l’amour s’est fait homme : Dieu est devenu l’un de nous pour poser lui-même les fondations du Royaume au sein de l’univers qu’il avait créé. Pas une parole, pas un geste de haine dans la vie de Jésus ; à aucun moment il n’est pris en défaut d’aimer. Réalisons que Jésus est ce petit bout d’homme qui a vécu une vie courte, sans rien posséder, une vie où il n’a rien construit (on ne connait pas sa maison alors qu’on connait celle de Pierre), une vie où il n’a rien écrit et évidement une vie sans mariage ni descendance, bref une vie qui ne devrait laisser aucune trace…
Cette vie qui est pourtant la plus importante et la plus déterminante de toute l’histoire de l’humanité, une vie que l’humanité n’oubliera jamais et à laquelle elle fera référence jusqu’à la fin. Pourquoi ? Parce que c’est la première vie et la dernière aussi, hélas, qui n’est qu’amour, qui est donc pleinement inscrite dans le projet de Dieu. Le christianisme des premiers siècles en viendra très vite dire que Jésus est divin, qu’il est de la même nature que Dieu.  Combien c’est vrai ! Mais cette vérité est posée sur l’expérience première qu’il est l’un de nous  et qu’il bâtit avec des mains d’hommes le Royaume du Père. Et il va enseigner aux hommes à faire pareil, il l’enseigne à ses disciples et ses disciples aux hommes auxquels ils seront envoyés : aimez-vous les uns les autres, soyez des serviteurs, soyez juste devant Dieu…. Avec Jésus en tout cas nous le savons, le Royaume d’amour qui est la raison d’être de l’univers, se bâtit avec des mains humaines.
3/ Imaginons alors ce Royaume bâti. Imaginons-nous à la fin du monde ou alors au terme de notre vie où nous regardons ce que nous avons fait en vue de ce Royaume. Est-il envisageable que ce Royaume reste comme le palais d’hiver d’un roi, ou une résidence d’été (peu importe), bien fermé à clef et vide ! Ne vient-il pas tout de suite à l’esprit que le Royaume doit être rempli, alors même que personne n’en semble capable ou encore moins digne. C’est avec cette question que l’on comprend la croix planté au-dessus de la crèche. Ne peuvent entrer dans le Royaume que ceux qui sont lavés de tout péché. En donnant sa vie pour tous les hommes, c’est ce que Jésus accompli ; la croix est le lieu suprême de ce don et devient la clef ou la porte du Royaume : tous nous y entrons par là. La raison finale de Noël c’est Pâques. Non seulement Jésus a commencé à bâtir le Royaume avec des mains humaines, mais encore il l’a ouvert à tous pour que cet ouvrage ne soit pas vain. Et Dieu n’est pas sadique : il ne nous fait pas vivre dans des faubourgs malfamés en attendant de nous faire vivre dans un palais après notre mort ! Ça, c’est une idée du passé ! Il nous donne de pouvoir visiter, séjourner autant que nous le voulons dans ce palais au cours de cette vie, pour peu que nous passions par la porte c’est-à-dire que nous imitions Jésus dans notre vie.
Que nous faut-il faire ? Sans doute, Jésus lui-même s’est posé cette question.
Or quelle est la première expérience humaine que fait Jésus, celle qui va s’imprimer en lui et tout coder. C’est celle de l’amour reçu. Jésus a été reçu par Marie, par Joseph, par les bergers, par les mages. Ils l’ont « adoré » nous disent les textes, pour nous dire en langage d’aujourd’hui qu’ils l’ont aimé. Cet amour pour un enfant, c’est le bonjour de l’humanité à celui qui va venir tout changer. Jésus commence l’expérience humaine par l’amour reçu. Il découvre que la vie ne porte du fruit que dans l’amour reçu, ce qui signifie aussi dans l’amour donné. On ne peut séparer les deux comme on ne peut pas séparer le « face » du « pile » d’une même pièce, le recto du verso d’une même feuille. Ses mains vont bâtir le Royaume ? Certes, mais elles le feront en fidélité à cet amour, cet amour premier pour un enfant. C’est pourquoi un jour, Jésus dira en substance à ses disciples : accueillez le Royaume comme on accueille un enfant ; qui ne se fait pas petit comme un enfant n’entrera pas dans le Royaume ; qui ne se fait pas serviteur comme des parents sont au service de leur enfant,  n’entrera pas dans le Royaume.
Et voilà que nous avons brossé toute l’histoire de l’humanité, à pas de géant, sur un traineau ailé tiré par des Rênes célestes… pour en revenir à l’enfant. Car voici ma conviction : l’enfant de la crèche reste intact ; il est intact dans la vie de Jésus ; il est intact dans la vie de Dieu ; il est intact en nous, nous appelant à renaitre, non pas en abandonnant tout mais en nous redisant que chercher le chemin de la crèche comme les bergers, comme les héros du conte de tout à l’heure, c’est chercher à bâtir, à ouvrir et à habiter le Royaume de Dieu.

Seigneur en cette nuit très sainte, donne-nous d’œuvrer à ton Royaume ; fais-le grandir en nous et autour de nous.

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