La terre, notre bien commun fondamental

paru dans La Croix: 

https://www.la-croix.com/JournalV2/terre-notre-bien-commun-fondamental-2022-11-23-1101243327

 


 

Waves under my Eyelids, de la série Alba’hian. - Waves under my Eyelids, de la série Alba’hian. © Joana Choumali, 2022

 

Pour l’homme, la terre est le bien vital par excellence. L’avenir de l’un est intimement lié à celui de l’autre. Mais déjà dans notre lien à la terre se jouent chaque jour des questions éthiques essentielles, ce que ne manque pas de rappeler le pape François.

« Comment vas-tu, ma Terre ? » À la question imaginaire que lui poserait un enfant, le buste allongé et l’oreille collée au sol, que pourrait répondre notre planète ? Peut-être : « Comme une vieille dame de 4,5 milliards d’années ! » Qui n’a qu’un court passé avec l’homme, au regard de son âge vénérable, mais qui nourrit avec lui un rapport complexe, troublé, fait de reconnaissance et d’insouciance. « Contrairement à une interprétation erronée, la Bible ne fait pas de l’homme le maître de la terre mais celui qui doit lui faire porter du fruit. Il en est donc le serviteur », précise Édith Bouilleau, bibliste au séminaire d’Orléans. Résonne alors comme en écho la parole du chef indien Seattle au président américain Franklin Pierce en 1854 :« Car ceci nous le savons : la terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre. »

Cette sagesse, à l’évidence, ne fait pas l’unanimité. Car la terre est l’objet politique par excellence. C’est pour elle que sont menées les guerres ! Qu’on se souvienne de la « Terre promise » à la recherche de laquelle Moïse lance le peuple d’Israël, à travers le désert, pour s’y installer. Une quête aux apparences de combat éternel. Aujourd’hui encore, un journal israélite ne s’appelle-t-il pas Haaretz, dont le nom signifie « terre » ?

La beauté de la terre et sa rareté en font la proie de toutes les convoitises et alimentent les motifs de désolations : exils, privations, dégradations… La liste des atteintes qui lui sont infligées est longue. Selon l’Organisation internationale des migrations, « 281 millions de personnes vivaient dans un pays autre que leur pays de naissance en 2020, soit 128 millions de plus qu’en 1990 et plus de trois fois plus qu’en 1970 ».

Pour ce qui concerne la question des paysans sans terre, «aucune étude quantitative n’est disponible aujourd’hui », regrette-t-on au CCFD-Terre solidaire. Mais Oxfam a étudié la situation propre aux femmes paysannes. Elles représentent «près de la moitié de la main-d’œuvre agricole dans les pays en développement, mais moins de 13 % d’entre elles possèdent la terre qu’elles cultivent ».

Autre ombre au tableau de la planète bleue, l’avenir de la viabilité humaine. Selon les scientifiques du Stockholm Resilience Centre (SRC), « cinq des neuf limites planétaires, indiquant la bascule sans retour de la Terre dans une ère nouvelle inconnue jusqu’alors, sont déjà franchies ». Sur bien des sujets, la terre n’est pas traitée comme le bien commun par excellence.

Afin de sortir de cette impasse, le pape François a renouvelé profondément le discours de l’Église. On ne compte plus le nombre de commentaires de son encyclique Laudato si’de 2015 sur l’écologie intégrale, où l’affirmation « tout est lié » revient comme un refrain à plus de dix reprises. Elle marque le souci conjoint de l’avenir de la terre et des hommes, en particulier des plus humbles. Dans une allocution tenue le 10 juin 2019 aux participants de la 108e conférence internationale de l’Organisation internationale du travail, il promeut un triptyque original « terre, toit et travail », indiquant par là que « le droit universel à l’usage » des biens de la terre est « le premier principe de tout l’ordre éthico-social ».

Quelques mois auparavant, le 8 mars 2019, il avait reçu les participants d’une conférence internationale sur le thème « Écouter le cri de la terre et des pauvres ». Dans un même souci pédagogique, il avait aussi noté les « cinq P » de l’agenda 2030 des Nations unies : planète, populations, prospérité, paix, partenariats. Pour être juste en effet, la pensée selon lui doit être systémique, associant réflexions économiques et écologiques, humanistes et religieuses. «Quand on parle de développement, il faut toujours demander : développement de quoi et pour qui ? Pendant trop longtemps, l’idée conventionnelle de développement a été presque entièrement limitée à la croissance économique. » Il plaide pour des modèles viables d’intégration sociale et de conversion écologique, car «nous ne pouvons pas nous développer en tant qu’êtres humains en suscitant une augmentation des inégalités et une dégradation de l’environnement ».

Rien de très nouveau dans cette option, si ce n’est le déplacement vers le centre des préoccupations de la question de l’homme dans son lien à la terre. Dès 1967, le pape Paul VI avait lancé dans son encyclique Populorum progressio«un appel solennel à une action concertée pour le développement intégral de l’homme ». Selon le professeur Emmanuel Gabellieri, de l’Université catholique de Lyon, ce concept de développement intégral a une double origine : dans la philosophie humaniste du Français François Perroux et dans la théologie de la libération d’Amérique latine, bien connue du futur pape François. Il est la clé de voûte du lien entre l’humain et la terre.

En 2019, se faisant l’écho des propos d’Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco en faveur des populations autochtones, véritables « spécialistes » du lien « avec l’environnement naturel », le pape François ajoutait : « Dans un monde fortement sécularisé, ces populations rappellent à tous la sacralité de notre terre. » Les mots sont choisis. Il ne s’agit pas de sacraliser la terre comme les religions primitives mais d’en reconnaître le caractère sacré, c’est-à-dire sa non-disponibilité au bon vouloir de l’homme.

 

Partir sous d’autres cieux et revenir différent

La coopération, appelée aujourd’hui volontariat international, est l’occasion de faire l’expérience de la Terre comme d’un village. Camille, infirmière, a passé deux années au Bénin et aux Philippines, qui ont changé sa manière de vivre.

Mais quelle est cette expérience dont Camille parle à son fils et qu’elle serait même prête à vivre une nouvelle fois en famille ? Qu’a-t-elle vécu qui a changé sa perception de l’homme habitant la Terre ? De 2015 à 2016, Camille, tout juste sortie de sa formation, accepte le poste d’infirmière volontaire en consultation pédiatrique au dispensaire de Davougon, près d’Abomey (Bénin). L’année suivante, elle part pour Manille (Philippines) avec Jérémie, qui deviendra son époux, comme chargée de la mission santé et communication de l’association d’aide Kaloob (qui signifie « cadeau », en philippin). Sa motivation ? «J’avais le souhait de mettre au service mes compétences dans un pays où l’accès aux soins reste encore trop rare. Je voulais aussi m’ouvrir à une autre culture et apprendre de l’autre. »

Très vite, le paradoxe apparaît : si la différence suscite le goût de la rencontre, elle en est le principal obstacle. «Lors de mon arrivée, indique Camille, notamment au Bénin, j’ai été submergée par les différences qui nous séparaient : les odeurs, la nourriture bien sûr, mais plus profondément les coutumes, les religions, les façons de vivre… Par exemple, la croyance au vaudou était tellement présente que cela m’éloignait d’eux, surtout quand ça interférait dans la santé. » Et d’ajouter, un brin songeuse : « Au début, tout vous sépare », pour corriger ensuite : « Heureusement, avec le temps et l’acclimatation, les différences se resserrent. Plus que je n’avais imaginé. »

Camille n’est pas restée dans son statut de coopérante comme dans une tour d’ivoire : «Au jour le jour, j’ai réellement rencontré les “locaux” dans leur environnement et j’ai pu partager autant leurs joies que leurs peines. Nous avons tissé de vrais liens. Bien sûr au début nous étions éloignés, surtout de mon fait : j’arrivais avec mes convictions et croyances et j’étais finalement, avec le recul, peu ouverte à la différence. Mais en apprenant d’eux, je me suis rendu compte que nos envies et nos questionnements étaient les mêmes. »

Quelles conséquences en tirer ? L’idée que la Terre est bien petite, qu’il n’y a pas d’autres voies que la solidarité entre les peuples… « J’ai changé mon regard. La Terre n’est pas censée être la propriété privée d’humains “privilégiés”, et pourtant ce sont les pays les plus riches qui se l’approprient au détriment des pays en voie de développement. » Situation d’autant plus dérangeante pour Camille que le dérèglement climatique accentue le divorce, ses conséquences étant plus dures à surmonter pour les moins favorisés alors que ses causes sont principalement dues aux pays riches.

S’il est finalement difficile de changer les choses là-bas, Camille choisit d’agir au moins ici. « Je ne suis pas rentrée indemne de cette expérience. Mes priorités ne sont plus les mêmes. Je relativise. Ceux avec qui j’étais à Abomey ou à Manille vivaient avec peu. Alors avec Jérémie on essaye de tendre vers la sobriété. C’est notre façon de vivre encore avec eux. »

 

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