L’évangile du Royaume de Dieu, by JOSEPH RATZINGER, in "Jésus de Nazareth", 2017, Chapitre 3

 

JOSEPH RATZINGER – BENOIT XVI

Jésus de Nazareth

2017

Chapitre 3 / L’évangile du Royaume de Dieu

p.67-84

Sélection de passages pour la veillée spirituelle d'ouverture de la première session du chapitre de la Province assomptionniste d'Europe - Valpré - Jeudi  5 Janvier 2023.


1/

Après l’arrestation de Jean-Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Evangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le Règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1,14-15). C’est en ces termes que l’évangéliste Marc retrace le début du ministère de Jésus et qu’il énonce en même temps le contenu essentiel de son message. Matthieu lui aussi résume ainsi l’activité de Jésus en Galilée : « Parcourant toute la Galilée, (il) enseignait dans leurs synagogues, proclamait l’Evangile du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple » (Mt4,23 ; cf. 9,35). Les deux évangélistes désignent la prédication de Jésus comme « Evangile ». Qu’est-ce que cela signifie en réalité ?

Dans le langage actuel de la théorie linguistique, on dirait que l’Evangile ne relève pas simplement du discours informatif mais du discours performatif, qu’il n’est pas seulement communication, mais action, force efficace qui entre dans le monde en le sauvant et en le transformant. Marc parle  de l’ « Evangile de Dieu » : c’est Dieu qui a le pouvoir de sauver le monde, et non les empereurs. Il s’agit ici de la parole de Dieu, qui est parole en acte ; elle fait advenir réellement ce que les empereurs ne font qu’affirmer sans avoir la capacité de le réaliser. Car entre ici en action le véritable Seigneur du monde : le Dieu vivant.

Le message central de l’« Evangile » c’est que le Royaume de Dieu est proche. Une coupure se produit alors dans le temps, quelque chose de nouveau se réalise. Et en réponse à ce don, on demande aux hommes conversion et foi. Au cœur de cette annonce, il y a le message de la proximité du Royaume de Dieu, qui constitue effectivement le noyau de la parole et de l’activité de Jésus. Un élément statistique vient le confirmer : l’expression « Règne » ou  « Royaume de Dieu » apparaît en tout cent vingt-deux fois dans le Nouveau Testament, dont quatre-vingt-dix-neuf fois dans les trois Evangiles synoptiques, quatre-vingt-dix d’entre elles correspondent à des paroles prononcées par Jésus.

On peut dire que si Jésus axe sa prédication prépascale sur le message du Royaume de Dieu, c’est la christologie qui est au centre de la prédication apostolique postérieure à Pâques.

La question primordiale n’est pas celle de l’Eglise, mais celle du rapport entre le Royaume De Dieu et le Christ : c’est de la réponse à cette question que dépend la façon dont nous pouvons comprendre l’Eglise.

 

2/

Pour comprendre le message de Jésus, -son action et sa souffrance-, il peut être utile d’examiner brièvement les différentes acceptions du mot « Royaume » dans l’histoire de l’Eglise. Chez les Pères, on peut distinguer trois dimensions dans l’interprétation de ce terme clé .

La première est la dimension christologique. Origène a appelé Jésus -à partir de la lecture des paroles de ce dernier- autobasiléia, à savoir le Royaume en personne. Jésus lui-même est le « Royaume » ; le royaume n’est pas une chose, il n’est pas un espace de souveraineté au même titre que les royaumes terrestres. Il est une personne, il est Lui. L’expression « Royaume de Dieu » serait donc en elle-même une christologie voilée. Par la manière dont il parle du  « Royaume de Dieu », Jésus guide les hommes jusqu’au fait énorme qu’en Lui, Dieu lui-même est présent parmi les hommes, qu’Il est la présence même de Dieu .

Une deuxième interprétation de la signification du « Royaume de Dieu » est celle que nous pourrions appeler « idéaliste » ou encore mystique ; elle considère que le Royaume de Dieu est fondamentalement établi dans l’intériorité de l’homme. C’est encore Origène qui a inauguré ce courant d’interprétation. Dans son traité Sur la prière, il dit : « Il est donc évident que celui qui prie pour que vienne le Royaume de Dieu prie avec raison qu’en lui s’élève, fructifie, s’achève le Règne de Dieu. Dans tous les saints qui ont Dieu pour roi (à savoir qu’existe la seigneurie, le Royaume de Dieu)(…) le Seigneur habite comme dans une cité bien administrée (…) Si donc nous voulons que Dieu règne sur nous (que son Royaume soit en nous), que jamais le péché ne règne dans notre corps mortel (cf. Rm 6,12) (…,)  le Seigneur se promènera en nous comme en un paradis spirituel (cf. Gn 3,8) ; il régnera seul en nous avec son Christ ». L'idée fondamentale est claire : le « Royaume de Dieu » n’est pas un point sur une carte géographique. Ce n’est pas un Royaume à la manière des royaumes terrestres ; son lieu, c’est l’intériorité de l’homme. C’est là qu’il grandit et c’est à partir de là qu’il agit .

Une troisième dimension dans l’interprétation du Royaume de Dieu est celle que l’on pourrait appeler ecclésiastique : elle met en relation, sous différents aspects, le Royaume de Dieu et l'Eglise, et elle établit entre les deux un rapport de plus ou moins grande proximité.

Pour autant que je puisse en juger, ce dernier courant a fini par prendre le pas sur les autres, surtout dans la théologie catholique de l’époque moderne, même si l’interprétation qui va dans le sens de l’intériorité de l’homme et de sa relation au Christ n’a jamais totalement disparu.

 Mais Jésus a proclamé le Royaume de Dieu et non un royaume quelconque. Matthieu parle de son côté du « Royaume des cieux » et le terme « cieux » est l’équivalent de celui de « Dieu », car dans le judaïsme, compte tenu du second commandement, on évite d’employer ce mot par respect du mystère divin.  Par conséquent, l’expression « Royaume des cieux » n’annonce pas quelque chose qui relève unilatéralement de l'au-delà, mais elle renvoie à Dieu, qui est à la fois ici-bas et au-delà et qui,  tout en transcendant infiniment notre monde, en fait aussi intrinsèquement partie.

Nous pouvons dire : en parlant de Royaume de Dieu, Jésus annonce tout simplement Dieu, c’est-à-dire le Dieu vivant, qui est en mesure d’agir concrètement dans le monde et dans l’histoire, et qui y agit précisément maintenant. Il nous dit : Dieu existe. Et encore : Dieu est vraiment Dieu, c’est-à-dire qu’il tient les rênes du monde entre ses mains. En ce sens, le message de Jésus est très simple, il est totalement théocentrique. L’aspect nouveau et spécifique de son message consiste à nous dire que Dieu agit maintenant- que l’heure est venue où Dieu se révèle dans l’histoire comme son Seigneur lui-même, comme le Dieu vivant, ce qui dépasse tout ce qu’on a connu jusque-là. C’est pour cette raison que la traduction du « Royaume de Dieu » est insuffisante, mieux vaudrait parler de la souveraineté ou de la seigneurie de Dieu.

 

3/

Dans le message de Jésus relatif au Royaume sont inscrites des affirmations qui expriment la pauvreté de ce royaume dans l’histoire : il est comme un grain de moutarde, la plus petite de toutes les graines. Il est comme le levain, quantité infime en comparaison de la masse de la pâte, mais élément déterminant pour son devenir. Le Royaume est constamment comparé à la semence qui est répandue dans le champ du monde et qui connaît des sorts divers : mangée par les oiseaux, étouffée sous les ronces ou bien au contraire parvenant à maturité pour donner beaucoup de fruit. Une autre parabole raconte que la semence du Royaume croît, mais qu’un ennemi sème par-dessus de l’ivraie qui croît en même temps, et ce n’est qu’à la fin qu’on peut séparer les deux (cf. Mt 13, 24- 30) .

Un aspect encore différent de cette mystérieuse réalité de la « seigneurie de Dieu » se fait jour lorsque Jésus la compare à un trésor enfoui dans un champ. Celui qui le découvre, l’enfouit à nouveau et vend tout ce qu’il a pour acheter le champ et pour entrer ainsi en possession du trésor capable de combler toutes ses attentes. Dans la parabole symétrique de la perle fine, celui qui trouve la perle vend lui aussi tout ce qu’il a pour acquérir ce bien plus précieux que tout (cf. Mt 13,44-46) .  Une autre facette encore de la réalité de la « seigneurie de Dieu »( Règne) se fait jour lorsque Jésus prononce des paroles difficiles à interpréter, selon lesquelles le « Royaume des cieux subit la violence et les violents cherchent à s’en emparer » (Mt, 11-12).

 La réalité que Jésus appelle « Royaume de Dieu, seigneurie de Dieu » est extrêmement complexe, et c’est seulement en l’acceptant dans sa totalité que nous pouvons nous approcher de son message et nous laisser guider par lui.

En prononçant ces paroles, le Christ renvoie à lui-même : le Royaume de Dieu, c’est Dieu, c’est lui-même qui se trouve au milieu de nous, seulement nous ne le connaissons pas (Jn 1,31). D’autres paroles de Jésus vont dans le même sens. « Si ce n’est pas le doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le Règne de Dieu est survenu pour vous (Lc, 11-20) . Ici le Royaume n’est pas là de par la simple présence physique de Jésus, mais il l’est à travers son action dans l’Esprit Saint. En ce sens c’est en lui et par lui que le Royaume de Dieu est présent ici et maintenant, qu’il « est tout proche ».

Cette nouvelle forme de proximité du Royaume dont parle Jésus et dont la proclamation constitue le trait distinctif de son message, cette proximité nouvelle, c’est Jésus lui-même. Par sa présence et son action, Dieu est entré dans l’histoire d’une manière tout à fait nouvelle, ici et maintenant,  comme Celui qui agit. C’est pourquoi aujourd’hui « les temps sont accomplis » (Mc 1,15) c’est pourquoi sont venus maintenant d’une façon unique en son genre, le temps de la conversion et de la pénitence, tout comme le temps de la joie, car Dieu vient à nous en Jésus. En lui, Dieu est maintenant celui qui agit et qui règne, qui règne de manière divine en aimant « jusqu’au bout »(Jn 13,1), jusqu’à la Croix. C’est à partir de cet élément central que l’on peut relier les différents aspects en apparences contradictoires.  C’est à partir de lui que l’on peut comprendre les déclarations sur le caractère humble et caché du Royaume, l’image essentielle de la semence qui continuera de nous occuper à plus d’un titre ; et aussi l’invitation au courage de se mettre à la suite de Jésus, en abandonnant tout le reste. Il est lui-même le trésor ; la communion avec lui est la perle précieuse.

4/

Le thème du « Royaume de Dieu » est présent dans l’ensemble de la prédication de Jésus. C’est pourquoi il n’est intelligible qu’à partir de l’intégralité de son message. En nous tournant maintenant vers l’un des passages centraux de la proclamation de Jésus, le Sermon sur la montagne, nous allons voir développés avec une plus grande profondeur les thèmes que nous n’avons fait qu’aborder fugitivement ici. Surtout, nous allons comprendre clairement que Jésus parle toujours en tant que Fils, que la relation entre Père et Fils se trouve toujours en arrière-plan de son message. En ce sens, Dieu occupe toujours la place centrale.

 

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