Dix pistes pour lutter contre le cléricalisme


Ci-dessous le texte que je distribue aux étudaints dans le cadre d'un travail fait ensemble sur le thème: Faut-il réformer l'Eglise. A partir d'un article de La Croix: Article La Croix sur le Cléricalisme

D'abord mes extraits sélectionnés et plus bas le texte intégral.


Dix pistes pour lutter contre le cléricalisme
[extraits]

1/ Mettre les prêtres à leur juste place

Le pape le définit comme une « manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église ». Elle concerne aussi bien le prêtre, dans la manière dont il se perçoit, que les laïcs, dans leur manière de se comporter avec lui. Considération du prêtre comme un sur­homme, confiance aveugle dans son autorité, ignorance de ses fragilités et, plus largement de son humanité… L’attachement aux titres hiérarchiques est un autre exemple de ce que dénonce le pape. Aujourd’hui, dans la manière dont sont formés les jeunes prêtres, « cette notion de carrière ou d’ambition cléricale est dépassée ». De même, la collaboration avec les laïcs est envisagée d’une façon beaucoup moins hiérarchique. « Le sacerdoce est fait pour le service, ce n’est pas un en-soi », rappelle le père Garin.

2/ Mettre les laïcs à leur juste place

Des paroissiens présents depuis vingt ans dans les équipes d’animation pastorale dont ils empêchent le renouvellement, d’autres qui se posent en défenseurs d’un ordre établi sous prétexte qu’ils se sont vu confier une mission par le curé… Les exemples de cléricalisme laïc ne manquent pas. Traduction : pour être un bon chrétien, mieux vaut être dans les petits papiers du curé, et cette conception entraîne frictions et divisions dans les communautés où chacun a du mal à trouver sa place, particulièrement les jeunes.
« Un laïc ”clérical” exerce un pouvoir, il ne rend pas un service. » Or, avec la baisse du nombre de prêtres, de plus en plus de baptisés se voient confier des services. « Cela nous invite à repenser la communion ecclésiale », insiste Mgr Beau (Bourges), qui voit à l’avenir les paroisses comme des « communautés autoportées » où personne, pas même le prêtre, ne sera en position de surplomb.
Dans cette perspective, remettre le laïc à sa juste place revient à parler de mission plutôt que de fonction à laquelle serait rattaché un pouvoir. « renoncer à un pouvoir qui domine, pour servir dans la charité »,résume Mgr Jérôme Beau.

3/ Rappeler l’égalité de tous devant le baptême

 « Le baptême instaure un principe fondamental d’égalité entre tous les baptisés, et cela l’emporte sur tout le reste ». Vatican II a affirmé également que tous les baptisés ont le « sens de la foi » et que cela leur donne certains droits, dont le droit de s’associer. « Les fidèles peuvent s’organiser en groupes comme ils le veulent, pour lire les Évangiles ou pour exercer la solidarité, poursuit le père Theobald.»
Cette égalité entre fidèles et clercs est d’autant plus fondamentale qu’elle s’appuie sur le rapport de « hiérarchie inversée » vécue par Jésus : « Que le plus grand parmi vous prenne la place de celui qui sert », déclare le Christ après l’institution de l’Eucharistie (Lc 22, 26). Parce que Jésus a inversé l’ordre hiérarchique, « les clercs sont dans une position seconde et non pas première », poursuit le père Theobald. « À eux de se laisser d’abord surprendre par les relations fraternelles et les initiatives des fidèles, avant de lancer des projets de leur unique initiative. »

4/ Assumer publiquement les fautes de l’Eglise

Tout catholique qui évoque publiquement les fautes de l’Église s’expose à deux types de réactions. Soit il se verra féliciter pour son courage et son souci de transparence, soit il se fera blâmer d’avoir « blessé » l’Église et alimenté les arguments de ses détracteurs. Y compris lorsqu’il s’agit de crimes.
Dans l’avion qui le ramenait d’Irlande, le pape n’a pas hésité à rappeler : « Tellement souvent, ce sont les parents aussi qui couvrent les prêtres qui abusent. Ils ne croient pas leurs enfants, et le garçon ou la fille reste comme ça », a affirmé François, lançant un appel à « parler » et à « parler encore ». Pour la théologienne dominicaine Véronique Margron, « Un tel silence, qui s’explique à la fois par l’argument, médiocre, de “ne pas faire de mal à l’Église” et par la corruption, la complicité, n’est plus possible. » Pour la moraliste, briser le silence ne suffit pas. « Assumer les fautes de l’Église, ce n’est pas seulement demander pardon. C’est poser des actes forts vis-à-vis des abuseurs au cas par cas, réparer financièrement ce qui est réparable et instaurer des procédures moins opaques. Trop souvent, on ne sait pas ce que deviennent les dossiers des prêtres abuseurs. »

5/ Organiser des lieux de débat dans l’Église

Entre laïcs ou avec un prêtre, qui dit liberté de parole dit liberté d’exprimer des désaccords, notion explicitée dans le code de droit canonique. Il y a quelques mois, La Croix (édition du 31 janvier) avait constaté l’absence d’une culture de débat entre catholiques, et l’inexistence de lieux dédiés à cet exercice. Un manque sans doute lié à la structure pyramidale de l’institution, qui pousse à se tourner vers une autorité supérieure, plutôt que de débattre entre égaux. Mais aussi à la sociologie du catholicisme français, souvent décrit comme une juxtaposition de « chapelles », de groupes qui se rencontrent peu, et, souvent, ne s’apprécient guère.
Un problème que n’a pas résolu Internet, bien au contraire…Des initiatives existent, comme le Centre Sèvres, à Paris, qui remet au goût du jour la tradition de la disputatio entre étudiants. Mais encore rare !

6/ Utiliser sa liberté de parole

Comment expliquer que nombre de fidèles demeurent réfractaires à exercer cette liberté, pourtant inscrite dans le code du droit canonique, de pouvoir exprimer leur opinion au sein de l’Église ? Peur d’entrer en conflit, sentiment de ne pas faire intellectuellement le poids…
« Cette liberté de parole des laïcs est tributaire de l’attitude du prêtre, s’il entretient une relation de mise à distance et non de mise au service du fait de sa consécration », soutient le père Christian Delorme, curé dans la banlieue de Lyon, qui encourage le débat avec ses paroissiens. 
Pour sortir du phénomène d’autocensure des laïcs, « il faudrait qu’ils soient davantage formés à la théologie, à la pastorale, à l’humain », recommande Monique Hébrard (1). « Sans jouer l’opposition pour être dans l’opposition, cela leur permettrait d’avoir une pensée plus structurée pour oser un dialogue libre avec leurs curés. »

7/ Gouverner les diocèses de manière plus collégiale

Le gouvernement des évêques apparaît souvent très personnel. « Sans le vouloir, Vatican II a ouvert la porte à cela », relève le père Patrick Valdrini, professeur de droit. « En insistant sur la plénitude du sacrement de l’ordre comme source du pouvoir de l’évêque, il a donné un caractère sacré à ce pouvoir. Pourtant, si dans l’Église le pouvoir est personnel, il n’est jamais arbitraire : il existe toujours des collèges censés être autant de contrepoids. »
Quant au conseil pastoral, ouvert aux laïcs mais seulement consultatif, le code de droit canonique n’oblige pas encore à sa constitution par l’évêque qui n’est même pas obligé de publier ses travaux. Cette précarité du conseil pastoral se retrouve aussi au niveau paroissial où, parfois, les prêtres n’hésitent pas à se passer de ces laïcs perçus comme voulant freiner leurs initiatives.

8/ Donner des responsabilités aux laïcs

Au sein même du Vatican, le pape François aimerait voir des laïcs à la tête d’organismes. Et le cardinal Farrell d’ajouter que « les personnes les plus importantes dans l’Église ne sont pas les prêtres, ni les évêques, mais les laïcs ». Un laïc, en mission ecclésiale dans le diocèse de Paris depuis plus de huit ans, confie « qu’il n’a pas vu tellement les laïcs prendre des places décisives » dans son diocèse où « les prêtres ne font pas encore défaut ». Selon lui, « certains prêtres qui pensent que les laïcs n’ont pas les qualifications requises comparées aux leurs ». D’autant qu’un effort manifeste de formation a été mené dans les diocèses français.
Ce travers est logique selon Anne Soupa. « Depuis le XIe siècle, le prêtre assure, de par sa différence de nature, les trois charges de gouvernement, de sanctification et d’enseignement, explique-t-elle. Il faut que cela change. » Pour cela, elle  appelle à poser la question « d’une co-gouvernance de l’ensemble des baptisés » des institutions ecclésiales.

9/ Associer plus de femmes à la formation des prêtres

On compte quelques femmes enseignantes dans la plupart des séminaires en France. Mais celles-ci sont généralement « reléguées dans des disciplines sans enjeu directement théologique, telles les langues anciennes ou l’histoire », regrette la bibliste Anne-Marie Pelletier. « Toutes les branches de la théologie devraient pouvoir être abordées à travers le double regard masculin et féminin, et de futurs prêtres ne sauraient être bien formés par le canal exclusif d’une parole sacerdotale », insiste la théologienne dominicaine Véronique Margron. « Plus il y aura de pluralité, mieux on sera armé pour faire face à l’autoritarisme », poursuit Véronique Margron qui rappelle toutefois que le cléricalisme et l’autoritarisme ne sont les apanages ni des hommes ni des clercs : « Il peut y avoir un cléricalisme de femmes. »

10 /Placer des femmes à des fonctions d’autorité

« Les femmes dans l’Église doivent être estimées à leur valeur et pas cléricalisées », affirmait le pape François dès décembre 2013, rejetant l’idée de cardinales. En avril dernier, François a néanmoins nommé trois femmes consultrices de la puissante Congrégation pour la doctrine de la foi. Une première. Et, en désignant, au début de l’été, un laïc à la tête du dicastère pour la communication, il a aussi ouvert la porte à des femmes préfètes de dicastère.
Les religieuses sont ici en première ligne ; les responsables de grandes congrégations religieuses seraient largement capables d’accéder à des fonctions de gouvernement. Dans les diocèses, des femmes encore plus nombreuses pourraient être nommées… Rien n’empêche non plus qu’elles soient accompagnatrices spirituelles, voire prédicatrices de retraite. « Je rêve que le pape demande à une femme de prêcher la retraite de la Curie », confie Lucetta Scaraffia qui, comme beaucoup, interroge l’interdiction qui leur est faite de commenter l’Évangile à la messe.

(1) Éd. Buchet-Chastel, 2008, 280 p., 22,30 €.


Après la publication d’un dossier de dix pistes de réflexion pour sortir l’Église du cléricalisme, vous avez répondu à l’invitation au dialogue de la rédaction de La Croix, en envoyant vos propres propositions. En voici une synthèse.

a)      Faire des papes des saints peut aller dans le sens du cléricalisme, être prudent en la matière, multiplier les saints non issus du clergé, alléger la hiérarchie dans l’Église, réfléchir à une limite dans le temps des fonctions les plus élevées, évêque, cardinal./ Jean-Michel, 66 ans, Paris
b)      L’Église catholique n’est pas la seule concernée. Ce cléricalisme – qu’il serait préférable de dénommer « abus d’autorité » – concerne la société entière./Jacques, 64 ans, Le Havre
c)      Que dans l’Église on cesse de promouvoir le port du rouge, de la mitre, etc., qui met toujours des personnes plus hautes que d’autres. Développer l’aspect de service./Gérald, 78 ans (Canada)
d)     Le sacrement de pénitence présente des risques pour ceux qui le donnent et pour ceux qui le reçoivent, il me semble que cela explique en partie la pédophilie dans l’Église. Des prêtres ont couvert des pédophiles grâce à lui sans savoir comment réagir. (…) Ne faudrait-il pas qu’ils puissent lever l’anonymat vis-à-vis de leur évêque ou de leur père abbé quand ils sentent qu’il n’y arrive pas et qu’ils se font manipuler par le pénitent ?/Cécile M., 76 ans, Paris
e)      Faire un travail liturgique de fond permettant de retravailler le choix des lectures dominicales et surtout les oraisons et prières eucharistiques : tout y est au masculin, proclamé et commenté uniquement par des hommes./Anne, 54 ans, Bruxelles
f)       Mettre en place des moyens plus clairs, durables pour favoriser la vie spirituelle du clergé; des lieux où parler en « je » de soi et qui fait cheminer dans l’humilité et dans la vérité, au plus près de soi-même./Sophie, 44 ans, Paris
g)      Pour parvenir à la fin de la culture cléricale, il faudra (…) mettre fin de façon radicale et explicite à la théologie d’un dieu monarque, omnipotent et intransigeant. C’est là la porte ouverte aux manipulations religieuses et aux abus sous couvert de divine volonté./ Alain & Aline W., Chalvron
h)      Le cléricalisme a touché autrefois la France, mais il n’y a plus de cléricalisme. Nous travaillons en équipes paroissiales en bonne intelligence avec nos prêtres. Ils nous font confiance, ils délèguent énormément, nous les aidons à discerner, à décider, ils nous écoutent et la majorité des engagés sont des femmes qui ont tout le pouvoir, en fait./ G. D., 72 ans, Isère
i)        Ce ne sont pas les prêtres qui font l’Église. C’est l’Église qui les a faits, les fait, et peut les défaire. N’avoir aucun souci de sauvegarde. Dieu pourvoit. Imaginer l’église sans prêtres, la penser, l’écrire, la dessiner ; et voir ensuite si elle nous fait envie./ Clarisse, 46 ans, Genève
j)        Accueil des pauvres, marginaux, malades et tout ce qui est ambition, carriérisme, pouvoir dégagera de lui-même./ Bernard E. M., 53 ans, Nantes



Dix pistes pour lutter contre le cléricalisme

Texte intégral
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1/ Mettre les prêtres à leur juste place

En premier lieu, étymologiquement, le cléricalisme semble ­viser les prêtres. Le pape le définit comme une « manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église ». Elle concerne aussi bien le prêtre, dans la manière dont il se perçoit, que les laïcs, dans leur manière de se comporter avec lui. Considération du prêtre comme un sur­homme, confiance aveugle dans son autorité, ignorance de ses fragilités et, plus largement de son humanité… voici quelques-unes des façons dont le cléricalisme peut se traduire, et dont, bien souvent, l’on trouve la trace dans les affaires d’abus commis par des prêtres.
L’attachement aux titres hiérarchiques est un autre exemple de ce que dénonce le pape. Lui-même ne s’y est pas trompé, en restreignant largement, dès janvier 2014, l’attribution des titres honorifiques de « Monseigneur » aux prêtres. Une manière de lutter aussi contre le carriérisme au sein du clergé.
Aujourd’hui, dans la manière dont sont formés les jeunes prêtres, « cette notion de carrière ou d’ambition cléricale est dépassée », assure le père Jean-Luc Garin, supérieur du séminaire interdiocésain de Lille. De même, la collaboration avec les laïcs est envisagée d’une façon beaucoup moins hiérarchique. « Le sacerdoce est fait pour le service, ce n’est pas un en-soi », rappelle le père Garin. La dimension humaine du prêtre est aussi mieux prise en compte, avec par exemple, au séminaire de Lille, un accompagnement des séminaristes par une psychologue.
Le moment de la formation des futurs prêtres, déterminante pour l’exercice du ministère, semble donc être pensé aujourd’hui précisément de manière à éviter les dérives du cléricalisme. La nouvelle Ratio fundamentalis, le « programme » édité par le Vatican pour la formation des prêtres, publiée fin 2016, va d’ailleurs dans ce sens.
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2/ Mettre les laïcs à leur juste place

Des paroissiens présents depuis vingt ans dans les équipes d’animation pastorale dont ils empêchent le renouvellement, d’autres qui se posent en défenseurs d’un ordre établi sous prétexte qu’ils se sont vu confier une mission par le curé… Les exemples de cléricalisme laïc ne manquent pas.
Certains ont parfois une tendance à « réduire le peuple de Dieu à une petite élite », confirme Mgr Jérôme Beau, président de la Commission épiscopale pour les ministres ordonnés et les laïcs en mission ecclésiale (Cemoleme). Traduction : pour être un bon chrétien, mieux vaut être dans les petits papiers du curé, et cette conception entraîne frictions et divisions dans les communautés où chacun a du mal à trouver sa place, particulièrement les jeunes.
Selon Mgr Beau, la notion clé pour remettre le laïc à sa place demeure le service. « Un laïc ”clérical” exerce un pouvoir, il ne rend pas un service. » Or, avec la baisse du nombre de prêtres, de plus en plus de baptisés se voient confier des services. « Cela nous invite à repenser la communion ecclésiale », insiste l’archevêque nommé de Bourges, qui voit à l’avenir les paroisses comme des « communautés autoportées » où personne, pas même le prêtre, ne sera en position de surplomb.
Dans cette perspective, remettre le laïc à sa juste place revient à parler de mission plutôt que de fonction à laquelle serait rattaché un pouvoir. C’est ainsi que depuis quelques années, les laïcs en mission ecclésiale reçoivent une charge d’une durée limitée de trois ans, renouvelable. En définitive, la mission du laïc, c’est « renoncer à un pouvoir qui domine, pour servir dans la charité »,résume Mgr Jérôme Beau.
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3/ Rappeler l’égalité de tous devant le baptême

« L’appel à la plénitude de la vie chrétienne (…) s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur rang », a affirmé le concile Vatican II (Lumen gentium V, 40). En ce sens, rappelle le théologien jésuite Christoph Theobald, enseignant au Centre Sèvres, « le baptême instaure un principe fondamental d’égalité entre tous les baptisés, et cela l’emporte sur tout le reste ». Vatican II a affirmé également que tous les baptisés ont le « sens de la foi » et que cela leur donne certains droits, dont le droit de s’associer. « Les fidèles peuvent s’organiser en groupes comme ils le veulent, pour lire les Évangiles ou pour exercer la solidarité, poursuit le père Theobald. Et s’il s’agit d’une association de droit privé, les fidèles n’ont pas à rendre compte aux clercs de ce qu’ils vivent. »
S’il reconnaît des difficultés réelles à vivre l’égalité baptismale, Christoph Theobald constate que celles-ci ne sont pas spécifiques à l’Église : dans tous les secteurs de la société, une hiérarchie s’instaure entre les spécialistes et les autres. « Il est facile de prendre les clercs pour des ”spécialistes du religieux” et de leur laisser faire le travail. Cela produit des angoisses, tant du côté des clercs débordés que des fidèles déçus de ne plus avoir de prêtres disponibles. »
Cette égalité entre fidèles et clercs est d’autant plus fondamentale qu’elle s’appuie sur le rapport de « hiérarchie inversée » vécue par Jésus : « Que le plus grand parmi vous prenne la place de celui qui sert », déclare le Christ après l’institution de l’Eucharistie (Lc 22, 26). Parce que Jésus a inversé l’ordre hiérarchique, « les clercs sont dans une position seconde et non pas première », poursuit le père Theobald, qui aime utiliser l’image d’un prêtre sourcier face aux immenses nappes phréatiques de l’Église et de la société. « À eux de se laisser d’abord surprendre par les relations fraternelles et les initiatives des fidèles, avant de lancer des projets de leur unique initiative. »
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4/ Assumer publiquement les fautes de l’Eglise

Tout catholique qui évoque publiquement les fautes de l’Église s’expose à deux types de réactions. Soit il se verra féliciter pour son courage et son souci de transparence, soit il se fera blâmer d’avoir « blessé » l’Église et alimenté les arguments de ses détracteurs. Y compris lorsqu’il s’agit de crimes.
Dans l’avion qui le ramenait d’Irlande, le pape n’a pas hésité à rappeler que le silence s’installait d’abord dans les familles concernées par les abus sexuels commis par des membres du clergé. « Tellement souvent, ce sont les parents aussi qui couvrent les prêtres qui abusent. Ils ne croient pas leurs enfants, et le garçon ou la fille reste comme ça », a affirmé François, lançant un appel à « parler » et à « parler encore ».
C’est précisément cette culture du silence, doublée d’une tendance à l’entre-soi que dénonce le pape François quand il évoque la « corruption spirituelle », dont la complicité passive est le ferment. Pour la théologienne dominicaine Véronique Margron, « il faut vraiment que disparaisse cet empire de l’omerta. Un tel silence, qui s’explique à la fois par l’argument, médiocre, de “ne pas faire de mal à l’Église” et par la corruption, la complicité, n’est plus possible. » Pour la moraliste, briser le silence ne suffit pas. « Assumer les fautes de l’Église, ce n’est pas seulement demander pardon. c’est poser des actes forts vis-à-vis des abuseurs au cas par cas, réparer financièrement ce qui est réparable et instaurer des procédures moins opaques.Trop souvent, on ne sait pas ce que deviennent les dossiers des prêtres abuseurs. »
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5/ Organiser des lieux de débat dans l’Église

Entre laïcs ou avec un prêtre, qui dit liberté de parole dit liberté d’exprimer des désaccords, notion explicitée dans le code de droit canonique. Il y a quelques mois, La Croix s’était interrogée sur la possibilité de débattre dans l’Église(notreédition du 31 janvier). Et avait constaté l’absence d’une culture de débat entre catholiques, et l’inexistence de lieux dédiés à cet exercice.
Un manque sans doute lié à la structure pyramidale de l’institution, qui pousse à se tourner vers une autorité supérieure, plutôt que de débattre entre égaux. Mais aussi à la sociologie du catholicisme français, souvent décrit comme une juxtaposition de « chapelles », de groupes qui se rencontrent peu, et, souvent, ne s’apprécient guère.
Un problème que n’a pas résolu Internet, bien au contraire, qui a pourtant vu se multiplier blogs ou comptes Twitter, sur lesquels des laïcs s’expriment en toute indépendance : ces nouveaux acteurs ont toujours tendance à parler aux « leurs ». Pour entrer dans une culture de débat saine, « encore faut-il en prendre les moyens, soulignait alors le père Jean-François Chiron, théologien : se former, et choisir le bon cadre institutionnel, qui peut être la paroisse ou une faculté de théologie, ne pas prétendre ériger une nouvelle norme… »
Des initiatives en ce sens existent déjà, comme le Centre Sèvres, à Paris, qui remet au goût du jour la tradition de la disputatio entre étudiants. Mais c’est encore rare.
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6/ Utiliser sa liberté de parole

« C’est une réalité encore terriblement ancrée : les laïcs s’écrasent devant leurs curés, n’osent pas leur faire part frontalement d’éventuels désaccords », regrette Monique Hébrard, journaliste et auteur de l’ouvrage Prêtres. Enquête sur le clergé d’aujourd’hui (1). Comment expliquer que nombre de fidèles demeurent réfractaires à exercer cette liberté, pourtant inscrite dans le code du droit canonique, de pouvoir exprimer leur opinion au sein de l’Église ? Peur d’entrer en conflit, sentiment de ne pas faire intellectuellement le poids…
« Cette liberté de parole des laïcs est tributaire de l’attitude du prêtre, s’il entretient une relation de mise à distance et non de mise au service du fait de sa consécration », soutient le père Christian Delorme, curé de l’ensemble paroissial Saint-Côme-Saint-Damien, à Caluire dans la banlieue de Lyon. Très engagé sur le terrain politique, y compris sur des sujets clivants – contre l’extrême droite, pour le dialogue islamo-chrétien… – dans les rangs catholiques, ilencourage le débat avec ses paroissiens. « Ils osent me dire leurs désaccords, toujours avec beaucoup de respect », explique-t-il, soulignant que le fait de « leur laisser la liberté de l’appeler comme ils le souhaitent » a participé à l’affirmation de cette relation franche.
Pour sortir de ce phénomène d’autocensure des laïcs, « il faudrait qu’ils soient davantage formés à la théologie, à la pastorale, à l’humain », recommande Monique Hébrard, ancienne membre du groupeParoles, portant dans les années 1990 la voix des laïcs dans les médias. « Sans jouer l’opposition pour être dans l’opposition, cela leur permettrait d’avoir une pensée plus structurée pour oser un dialogue libre avec leurs curés. »
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7/ Gouverner les diocèses de manière plus collégiale

Le 17 octobre 2015, dans son discours au Synode des évêques, dans lequel il rappelait que la synodalité est une « dimension constitutive de l’Église », le pape François soulignait que son « premier niveau d’exercice (…) se réalise dans les Églises particulières », c’est-à-dire les diocèses où, justement, le gouvernement des évêques apparaît souvent très personnel.
« Sans le vouloir, Vatican II a ouvert la porte à cela », relève le père Patrick Valdrini, professeur de droit canonique à l’Université pontificale du Latran. « En insistant sur la plénitude du sacrement de l’ordre comme source du pouvoir de l’évêque, il a donné un caractère sacré à ce pouvoir. Pourtant, si dans l’Église le pouvoir est personnel, il n’est jamais arbitraire : il existe toujours des collèges censés être autant de contrepoids. »
À ses yeux, c’est justement pour contrebalancer cette dérive que François insiste tant sur la synodalité. Dans son discours d’octobre 2015, le pape rappelle, outre la possibilité des synodes diocésains, les différents conseils qui entourent l’évêque soulignant que « de tels instruments qui, parfois, font preuve de lassitude, doivent être valorisés comme occasion d’écoute et de partage ».
Dans la pratique, ces conseils ont connu des dérives. Ainsi le collège des consulteurs, que l’évêque est obligé de solliciter dans les affaires les plus importantes : ce « conseil des sages », héritier du chapitre cathédral autrefois considéré comme le « sénat de l’évêque », n’apparaît plus forcément comme le contre-pouvoir qu’il est censé être. Trop souvent, l’évêque y nomme ses vicaires généraux ou épiscopaux qui, par leur fonction, sont solidaires de l’évêque et de ses décisions.
Quant au conseil pastoral, ouvert aux laïcs mais seulement consultatif, le code de droit canonique n’oblige pas encore à sa constitution par l’évêque qui n’est même pas obligé de publier ses travaux. Cette précarité du conseil pastoral se retrouve aussi au niveau paroissial où, parfois, les prêtres n’hésitent pas à se passer de ces laïcs perçus comme voulant freiner leurs initiatives.
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8/ Donner des responsabilités aux laïcs

Dans cette lutte contre le cléricalisme, les laïcs ont une place à prendre : aussi bien symboliquement qu’en accédant à de hautes responsabilités. Mgr Jérôme Beau, évêque nommé de Bourges et président de la Commission épiscopale pour les ministres ordonnés et les laïcs en mission ecclésiale (Cemoleme), confirme qu’il va falloir rapidement se poser la question de « ce qui constitue la vocation du laïc ».
Au sein même du Vatican, le pape François aimerait voir des laïcs à la tête d’organismes ayant du poids dans les orientations de l’Église. Dans une interview accordée au magazine Intercom, le cardinal Kevin Farrell, préfet du dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, explique que le pape lui aurait fait part de « sa lassitude de voir toutes les congrégations prendre le premier rôle pour absolument tout ». Ces congrégations étant toutes dirigées par des prêtres ou des évêques. Et le cardinal Farrell d’ajouter que « les personnes les plus importantes dans l’Église ne sont pas les prêtres, ni les évêques, mais les laïcs ».
Encore faudrait-il que ces vœux se traduisent dans la gouvernance de l’Église. Un laïc, en mission ecclésiale dans le diocèse de Paris depuis plus de huit ans, confie « qu’il n’a pas vu tellement les laïcs prendre des places décisives » dans son diocèse où « les prêtres ne font pas encore défaut ». Selon lui, cela est « en partie dû à la fois à un manque de formation notamment pour les acteurs pastoraux, lacune parfois présupposée par certains prêtres qui pensent que les laïcs n’ont pas les qualifications requises comparées aux leurs ». D’autant qu’un effort manifeste de formation a été mené dans les diocèses français.
Ce travers est logique selon Anne Soupa, présidente de la Conférence catholique des baptisé(e)s francophones (CCBF). « Depuis le XIe siècle, le prêtre assure, de par sa différence de nature, les trois charges de gouvernement, de sanctification et d’enseignement, explique-t-elle. Il faut que cela change. »
Pour cela, la CCBF a écrit une lettre ouverte aux évêques de France, exhortant à la tenue d’assise de la gouvernance de l’Église pour poser la question « d’une co-gouvernance de l’ensemble des baptisés » des institutions ecclésiales.
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9/ Associer plus de femmes à la formation des prêtres

« La familiarisation avec la réalité féminine, si présente dans les paroisses et dans d’autres milieux ecclésiaux, s’avère essentielle pour la formation humaine et spirituelle des séminaristes et devra toujours être considérée positivement », peut-on lire dans la nouvelle Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis (2016) de la Congrégation pour le clergé. Ces propos font suite aux recommandations du rapport final (2015) du Synode sur la famille, qui invitaient à « valoriser davantage » la participation féminine à la formation des futurs prêtres. C’est pourtant loin d’être le cas.
Certes, on compte quelques femmes enseignantes dans la plupart des séminaires en France. Mais celles-ci sont généralement « reléguées dans des disciplines sans enjeu directement théologique, telles les langues anciennes ou l’histoire », regrette la bibliste Anne-Marie Pelletier qui a enseigné au séminaire du diocèse de Paris. Au séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux, on ne compte que sept femmes – dont deux pour l’ecclésiologie et la théologie – pour 40 hommes, mais à partir de cette rentrée, une mère de famille, assistante du supérieur du séminaire, devient membre du conseil avec lettre de mission de la Compagnie Saint-Sulpice.
« Il n’y a aucune raison pour qu’une quelconque discipline soit interdite aux femmes. Toutes les branches de la théologie devraientpouvoir être abordées à travers le double regard masculin et féminin, et de futurs prêtres ne sauraient être bien formés par le canal exclusif d’une parole sacerdotale », insiste la théologienne dominicaine Véronique Margron, ancienne doyenne de la faculté de théologie d’Angers. Elle plaide aussi pour que des femmes soient membres des conseils des séminaires, en rappelant que pendant ses années d’enseignement de théologie morale dans un séminaire diocésain, elle n’a « jamais » été invitée au conseil : « Vu ma discipline, on aurait pu penser que j’avais des conversations profondes avec des séminaristes et que cela aurait pu justifier ma présence. »« Plus il y aura de pluralité, mieux on sera armé pour faire face à l’autoritarisme », poursuit Véronique Margron qui rappelle toutefois que le cléricalisme et l’autoritarisme ne sont les apanages ni des hommes ni des clercs : « Il peut y avoir un cléricalisme de femmes. »
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10 /Placer des femmes à des fonctions d’autorité

« Les femmes dans l’Église doivent être estimées à leur valeur et pas cléricalisées », affirmait le pape François dès décembre 2013, rejetant l’idée de cardinales. D’une certaine manière, cléricaliser les femmes reviendrait en effet à perpétuer le modèle clérical. « Leur place dans l’Église, les femmes doivent l’avoir en tant que femmes », insiste l’historienne féministe Lucetta Scaraffia, responsable du supplément « Femmes Église Monde » de L’Osservatore romano qui dit ne pas croire aux femmes prêtres. Pas plus qu’aux diaconesses, sujet que le pape François a confié à une commission dont les travaux semblent perdus dans les sables de l’inertie vaticane…
En avril dernier, François a néanmoins nommé trois femmes consultrices de la puissante Congrégation pour la doctrine de la foi. Une première. Et, en désignant, au début de l’été, un laïc à la tête du dicastère pour la communication, il a aussi ouvert la porte à des femmes préfètes de dicastère.
Les religieuses sont ici en première ligne. Ainsi, au Synode, leurs représentantes n’ont pas le droit de vote, contrairement à ceux des religieux. Or les responsables de grandes congrégations religieuses seraient largement capables d’accéder à des fonctions de gouvernement. La présidente de l’Union internationale des supérieures générales (représentant les 650 000 religieuses du monde) serait très à même de conseiller le pape. Y compris au « C9 ».
Dans les diocèses, des femmes encore plus nombreuses pourraient être nommées comme chancelière ou professeure de séminaire. Rien n’empêche non plus qu’elles soient accompagnatrices spirituelles, voire prédicatrices de retraite. « Je rêve que le pape demande à une femme de prêcher la retraite de la Curie », confie Lucetta Scaraffia qui, comme beaucoup, interroge l’interdiction qui leur est faite de commenter l’Évangile à la messe.
Enfin, il faut rappeler que Sacrosanctum concilium et la Présentation générale du Missel romain identifient 17 fonctions liturgiques différentes : autant de pistes à explorer pour des ministères spécifiquement féminins.
(1) Éd. Buchet-Chastel, 2008, 280 p., 22,30 €.

Après la publication d’un dossier de dix pistes de réflexion pour sortir l’Église du cléricalisme, vous avez répondu à l’invitation au dialogue de la rédaction de La Croix, en envoyant vos propres propositions. En voici une synthèse.
a)      Faire des papes des saints peut aller dans le sens du cléricalisme, être prudent en la matière, multiplier les saints non issus du clergé, alléger la hiérarchie dans l’Église, réfléchir à une limite dans le temps des fonctions les plus élevées, évêque, cardinal./ Jean-Michel, 66 ans, Paris
b)      L’Église catholique n’est pas la seule concernée : le sont aussi, dans un « silence de temple, de synagogue ou de mosquée », tous les autres « mouvements » spirituels et/ou religieux. Il y a là aussi plus que du « débroussaillage » à mettre en œuvre. Ce cléricalisme – qu’il serait préférable de dénommer « abus d’autorité » – concerne la société entière./Jacques, 64 ans, Le Havre
c)      Que dans l’Église on cesse de promouvoir le port du rouge, de la mitre, etc., qui met toujours des personnes plus hautes que d’autres. Développer l’aspect de service./Gérald, 78 ans, Delmas Saskatchewan (Canada)
d)     Le sacrement de pénitence présente des risques pour ceux qui le donnent et pour ceux qui le reçoivent, il me semble que cela explique en partie la pédophilie dans l’Église. Des prêtres ont couvert des pédophiles grâce à lui sans savoir comment réagir. (…) Ne faudrait-il pas qu’ils puissent lever l’anonymat vis-à-vis de leur évêque ou de leur père abbé quand ils sentent qu’il n’y arrive pas et qu’ils se font manipuler par le pénitent ?/Cécile M., 76 ans, Paris
e)      Faire un travail liturgique de fond permettant de retravailler le choix des lectures dominicales et surtout les oraisons et prières eucharistiques : tout y est au masculin, proclamé et commenté uniquement par des hommes./Anne, 54 ans, Bruxelles
f)       Je pense que la crise actuelle est une chance inouïe pour l’Église d’effectuer une révolution sur elle-même, quand on sait ce qu’elle représente pour des millions de gens./Yannick L., 65 ans, Beauvais
g)      Mettre en place des moyens plus clairs, durables pour favoriser la vie spirituelle du clergé : cela passe nécessairement par un accompagnement spirituel suivi où faire le point sur la vie de prière, les joies et les combats (divers, y compris ceux touchant la vie affective) ; lieu où parler en « je » de soi et qui fait cheminer dans l’humilité et dans la vérité, au plus près de soi-même./Sophie, 44 ans, Paris
h)      Pour parvenir à la fin de la culture cléricale, il faudra (…) mettre fin de façon radicale et explicite à la théologie d’un dieu monarque, omnipotent et intransigeant qui, sous couvert de bonté et de miséricorde, a sous-tendu cette culture de soumission au sacré. C’est là la porte ouverte aux manipulations religieuses et aux abus sous couvert de divine volonté./ Alain & Aline W., Chalvron
i)        Le cléricalisme a touché autrefois la France, mais il n’y a plus de cléricalisme. Nous travaillons en équipes paroissiales en bonne intelligence avec nos prêtres. Ils nous font confiance, ils délèguent énormément, nous les aidons à discerner, à décider, ils nous écoutent et la majorité des engagés sont des femmes qui ont tout le pouvoir, en fait./ G. D., 72 ans, Isère
j)        Ce ne sont pas les prêtres qui font l’Église. C’est l’Église qui les a faits, les fait, et peut les défaire. N’avoir aucun souci de sauvegarde. Dieu pourvoit. Imaginer l’église sans prêtres, la penser, l’écrire, la dessiner ; et voir ensuite si elle nous fait envie./ Clarisse, 46 ans, Genève
k)      Accueil des pauvres, marginaux, malades et tout ce qui est ambition, carriérisme, pouvoir dégagera de lui-même./ Bernard E. M., 53 ans, Nantes


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