Fanatisme, vous avez dit fanatisme?
En ce temps plus que troublé, lire un livre d'Adrien Candiard, dominicain, habitant au Caire, spécialiste du Coran et du monde musulman, cela fait du bien.
Ci-dessous ma fiche de lecture de son livre très récent (son dernier?)
En noir: extraitsEn bleu: mon résumé
(p.23-25) « Fanatisme :
le terme sonne un tantinet désuet. Les manchettes des journaux ne l'emploient
guère, lui préférant des termes vagues, comme radicalité, ou impropres : « intégrisme »
ou « fondamentalisme » désignent ainsi des courants et des doctrines
précises, qui ne peuvent s’employer indifféremment pour parler de toute forme
d'intransigeance religieuse plus ou moins inquiétante, tout comme , pour les
musulmans , l’ingénieuse invention du commode islamisme peine à cacher qu'en
voulant embrasser du même coup tous les mouvements jugés problématiques , il ne
désigne plus rien de précis. Au-delà des mots , du reste , il est aisé et
souvent nécessaire de distinguer des mouvements et des attitudes qui n'ont rien
à voir entre eux. (…) Pour autant, les différences étant claires, faut-il
refuser absolument de reconnaître (…) comme un air de famille ? C'est
précisément parce qu'ils soupçonnaient l'existence d'un cousinage, parfois
discret , entre des comportements religieux qu'ils jugeaient aberrants que les
philosophes des lumières ont forgé, pour le combattre , le concept de
fanatisme: à travers des symptômes épars, et très différents, selon les
époques, les pays, les doctrines , ils voyaient à l’oeuvre une unique maladie
touchant la religion. Le terme de maladie n'est pas ici métaphorique : il
s'agissait bien pour eux d'une forme de maladie mentale, une folie , à
combattre par la raison. En posant le diagnostic , ils s’interdisaient donc de
comprendre véritablement le phénomène : il n'y a, pensait-on alors du
moins, rien à comprendre à une folie."
[ici, lire
le livre 😊]
Thèse de Candiard (résumé personnel)
Point de départ : un fait divers en écosse où un
boulanger musulman est assassiné pour avoir souhaité joyeuses Pâques aux
chrétiens/ Clef : pas seulement, la folie de l’assassin ; mais une
rationalité : celle qui dit que faire, c’est être ; donc la rationalité
qui pense que on a la foi par ses actes
Hypothèse de Candiard :
les « fanatiques » sont des « croyants » qui en fait ne
croient pas en Dieu : ils croient dans la vérité absolue de leurs
pratiques.
Cela remonte au Moyen Âge, Iman irakien du IX° s. Ibn Hanbal
(Hanbalites). Hanbal proclame l’absolue transcendance de Dieu qui a révélé non
pas qui il est mais ce qu’il veut. De proche en proche i.e. d’excès en excès, cette Volonté de Dieu se revêt des attributs
divins et il devient possible « d’adorer » les commandements de Dieu,
au lieu d’adorer Dieu. C’est donc de l’idolâtrie, de l’athéisme pieux, ultra
pieux. Celui qui n’agit pas comme un
musulman ne peut pas être musulman// dans le christianisme, la foi et les œuvres
sont distinguées, en particulier par Paul (moins clair chez Jacques) :
on peut être chrétien sans « faire » le chrétien. Pourquoi ?
parce que Dieu ne révèle pas sa volonté pour les chrétiens, mais sa nature :
il révèle son amour : il nous aime et nous avons à accepter cet amour et à
y répondre. Tout le reste : bible, commandements liturgie, sacré, saints
est RELATIF à cela.
Csqce : faire devenir chrétien, c’est enseigner à
se laisser aimer et à aimer : impossible de le faire par la contrainte /
faire devenir « Hanbalite » : forcer à agir comme un musulman ;
la contrainte marche très bien ou bien la peur par l’assassinat. NB : l’histoire
chrétienne est pleine de telles dérives !
Remarque : c’est plus facile d’observer même strictement
des commandements plutôt que de chercher Dieu. Chaque fois que l’homme enlève
Dieu et cherche autre chose, il en fait une idole et cela crée des fanatismes profanes :
progrès, histoire, race , terre….. A quoi on reconnait qu’on a affaire à une
idole : elle a créé autour d’elle un monde clos qui est de moins en moins
en contact avec le réel/ La foi commence quand elle se mélange avec les questions
de tous les jours.
3 manières d’éviter le fanatisme : 1/ faire de la
théologie pour pouvoir dépasser ce point où l’on dit qu’on a rien à dire sur
Dieu et qu’il ne reste plus qu’à faire, alors qu’il s’agit de devenir ; 2/
pratiquer le dialogue interreligieux où on cherche ensemble Dieu ou une
transcendance ; 3/ prier en secret
Conclusion
(p83 et suivantes) :
« Les
lumières ont eu le mérite d'identifier, sous le terme unique de fanatisme, ces
formes si diverses de dérèglements religieux que nous avons évoquées ici, et d’y
reconnaître ce que nous avons appelé un air de famille. Pourquoi renoncer alors
au diagnostic de ces philosophes, qui voyaient dans cette maladie une folie, liée
à l’excès et de religion, qu'il faudrait donc soigner par le recours à la
raison et par l'éloignement de la religion ? Tout simplement parce que le
traitement a échoué. Après 2 siècles et demi, nous pouvons en dresser le
constat : la diffusion de l'éducation et la sécularisation n'ont nullement
eu raison du phénomène et il faudrait beaucoup de aveuglement pour imaginer que
nos fanatisme contemporains ne sont qu'une queue de comète, un combat d'arrière
regarde désespéré, précédent l’imminent triomphe de la raison. La vivacité des
fanatismes nous enseigne que, loin d'être une démence, le fanatisme a ses
raisons, sa logique, sa cohérence ; et que cette cohérence n'est pas celle
d'un excès de Dieu mais au contraire le signe de sa dramatique absence au sein
même de discours pieux et religieux .
Cet échec
nous oblige à cesser d'ignorer, par principe, le sens spirituel de
l'enfermement fanatique qui est le refus de la spiritualité, de la relation à
Dieu, de l'amour personnel de Dieu. Il nous oblige à envisager que, parfois, la
solution des problèmes religieux puisse être également religieuse.
On dira
que je prêche pour ma paroisse, et que c'est tout de même bien commode. (…) je
ne laisserai pas dire que c'est là une position confortable. Ce qui est
confortable, c'est de tout savoir à l'avance ; c'est de s'éviter les
courants d'air en se calfeutrant dans d’hermétiques certitudes ; c'est de
hurler avec les loups, de se sentir chaud au sein d'une identité, quelle
qu'elle soit et de s'en émerveiller jusqu’à l’écoeurement. Aimer Dieu, en
revanche, c'est une drôle d'aventure, que nous sommes pourtant des millions a
cherché à vivre .
Avoir
foi en Dieu c'est profondément malcommode, parce que c'est accepter de confier
sa vie entière à quelqu'un qu'on ne voit pas, et qui ne se laisse jamais
enfermé dans nos images rassurantes et infiniment réductrices. C'est accepter
qu'il veuille nous laisser, plutôt qu'un sentiment de plénitude satisfaite,
suffisante, simplement une place pour lui : une béance en nous, si
inconfortable que nous nous empressons de la combler dès que l'occasion est
présente. Les Hébreux au désert n'avaient pu supporter que Moïse s’absente 40
jours pour parler avec Dieu au sommet du Sinaï et s'étaient construit un veau
d'or, signe de leur détresse bien plus que de leur naïveté primitive. Nous
n'aimons pas cette béance, que nous étouffons au besoin sous les satisfactions
les plus médiocres et les plus illusoires, alors que nous devrions au contraire
en prendre le plus grand soin, parce que cette béance en nous, c'est le lieu où
peut grandir notre désir de Dieu, le seul désir à la mesure de notre coeur.
Prendre
soin de cette béance vertigineuse, refuser nos tentations de idolâtres :
c'est un ascétisme véritablement exigeant, une aventure spirituelle et qui
tourne le dos aux facilités médiocres que le monde peut offrir. Cela tombe
bien, car on ne détournera pas du fanatisme ceux que pourrait tenter sa fausse
radicalité en leur proposant de l'eau tiède, mais bien en leur offrant la
vitalité d'une eau vive, jaillissant en vie éternelle . [Fin du livre]
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